En 2024, le concours a connu un grand succès puisque nous avons reçu 110 nouvelles dans la catégorie adulte et 2 dans la catégorie jeune. Les 3 coups de cœur du jury qui ont été dévoilés lors de la soirée de lancement des «Feuillets d’Automne» sont :
ASSOCIATION CRIOU LIVRES
1) Promenons nous dans les bois – Elie NICOLOPOULOS de Marseille (13)
2) Le long d’un chemin – Anaïs ROY de La Garnache (85)
3) Comme dans le livre – Valérie JACQUIN de Foncine le Haut (39)
à mon petit-fils,
Pour que ton émerveillement présent t’accompagne toujours dans ton futur.
Pour que la vie d’adulte n’éteigne pas la lumière de ton regard d’enfant.
Comme dans le livre
La température, un peu en dessous des dix degrés, les surprit ; mais rien de plus normal pour une heure matinale à cette saison. Les conditions météorologiques de cette période de l’année offraient un cadre idéal pour la marche que Valéna voulait faire avec son petit-fils Adel. Ce joli coin du Jura méritait qu’on s’y promène et la possible observation d’un cerf avait décuplé la motivation de l’enfant. Son agitation avaient empêché sa grand-mère de l’équiper convenablement et elle dut lui demander à plusieurs reprises de se calmer. Mais, à sept ans, il est impossible de contenir sa joie quand l’aventure vous appelle.
À peine leurs yeux s’ouvrirent sur cette nature en effervescence, qu’Adel admirait déjà l’ouvrage du printemps. Un parterre de jonquilles jouait de la trompette et le léger vent qui les accompagnait le fit frissonner. À la vue de la mine enjouée du petit et du paysage, le parfum subtil du bonheur embauma le cœur de Valéna.
Un arbre peinturé de rouge et de blanc se proposa de les guider vers un sentier. Ils s’engagèrent sur le chemin en se tenant la main ; mais très vite l’enfant voulut prendre son indépendance. Sur les recommandations de sa mamie, il promit de ne pas s’éloigner.
Un champ parsemé de fleurs de pissenlits attira son attention et il voulait en cueillir une quand il vit qu’un drôle d’insecte se frottait à elle. À mieux y regarder, il s’aperçut que plusieurs de ses petites bestioles voletaient de fleurs en fleurs. Curieux, il questionna sa grand-mère et apprit la raison de ce ballet aérien. Alors que Valéna lui expliquait comment les abeilles allaient faire du miel avec le pollen récolté, elle remarqua qu’Adel était très intéressé. Pour le réjouir davantage, elle finit par lui raconter la passion des ours bruns pour ce nectar gluant.
— Il y a des ours ici ? s’empressa-t-il de demander, en balayant les environs du regard.
La réponse négative le rassura tout en le décevant.
— J’aurai bien aimé en voir un.
— Il nous faudrait retourner à une époque lointaine pour en voir ici. Ou sinon, nous pourrions visiter une forêt du Canada.
— Oh oui ! Demain, on part au Canada !
Les deux complices reprirent le cours de leur marche, arrêtés quelques mètres plus loin par une intersection qui séparait la piste en trois possibilités. L’une d’elle, caillouteuse, offrait une pente que l’enfant avait envie de dévaler à toute vitesse. Valéna accepta de prendre cette route, à condition qu’il ne court pas. Une parcelle de résineux les attendait en contrebas et une odeur de champignons vint titiller leurs narines. Valéna reconnut immédiatement la senteur particulière des morilles fraîches. Par un réflexe enfoui, son radar interne se mit en action. Elle s’approcha des frênes en bordure et se mit à bouger le plancher feuillu avec les pieds. Délicatement, pour ne pas risquer un saccage. Elle n’eut pas le temps de mener à bien sa recherche, son petit-fils lui tirait le bras en faisant chut du doigt. Quand il eut toute l’attention de sa mamie, du même doigt il lui montra les deux chamois qui grignotaient à quelques mètres d’eux. Ils tentèrent de s’approcher mais l’odorat développé de cette espèce animale sonna l’alerte. En deux sauts, ils se faufilèrent à travers les troncs, laissant à la traîne les deux paires d’yeux à leurs trousses. Adel, porté par l’excitation, se mit à les imiter en sautillant. La marque faciale noire et blanche sur chacune des têtes l’avait aidé à identifier l’espèce, l’ayant déjà vu dans l’encyclopédie animalière que Valéna lui avait fait consulter avant de venir. Il s’en vanta :
— C’est pas des chevreuils, mais des chamois !
— Oui, tu as raison mon chéri. Regarde donc par là-bas !
Par là-bas voulait dire derrière lui. Une tâche rousse flânait dans les herbes du champ voisin, en direction opposée à la leur. Si bien qu’ils observaient surtout l’épaisse queue du renard. Comblés par ces heureuses rencontres, ils prirent la direction de la rivière dont l’écho leur parvenait distinctement, alors qu’ils ne l’avaient pas entendue jusque-là. La nature vous lance des invitations quand elle est prête à vous recevoir.
Muni d’un bâton, Adel jouait au magicien et quand sa baguette visa un écureuil, il crut l’avoir véritablement changé en boule de feu. Le rongeur fusa vers le sommet d’un sapin et disparut dans un monde invisible. Elle était magique cette contrée vallonnée.
Un reste de neige témoignait du passage de l’hiver et se dévoilait à l’entrée d’une clairière qu’il fallait traverser. Le petit détourna son pas pour aller se frictionner les mains dans le givre. Juste après, il courut rejoindre sa grand-mère pour lui transmettre le froid de ses mains sur ses joues. Lors du contact, elle ressentit une décharge électrique et fit un mouvement de recul.
— C’est froid, hein ? s’exclama l’enfant, tout en joie.
— C’est… saisissant !
Le bruit de l’eau qui se répand en flots s’amplifiait et leur annonçait la proximité du lieu. Un accès, creusé par le passage des animaux, leur indiqua qu’il fallait tourner là pour accéder à la rive. Le cours d’eau rapide leur crachait de ne pas trop s’approcher. Valéna agrippa la main de son aventureux petit-fils avant qu’il ne décide de ricocher à pieds joints. Par ce geste protecteur, elle força l’enfant à se tenir à ses côtés et là, ils assistèrent à l’arrivée d’un héron. L’oiseau posa ses fines pattes sur une pierre juste en face d’eux. Il ne les remarqua pas et plongea son long cou dans l’eau ; son bec en ressortit gratifié d’un poisson. L’échassier déploya son plumage cendré et d’un battement d’ailes s’envola aussi vite qu’il ne s’était montré. Ce spectacle les envoûta. Le poignet gauche de Valéna se mit à vibrer, elle sursauta. Ce n’était que l’alarme qu’elle avait programmée pour l’avertir à la moitié du temps imparti.
— Et si nous traversions, pour aller voir de l’autre côté ? Regarde plus bas, un arbre s’est couché en travers de la rivière.
Adel ne se fit pas prier. Il détala à l’endroit indiqué et franchit le pont en bois, suivi par une grand-mère pas très rassurée.
Il leur fallait ensuite gravir une pente rude pour s’écarter du lit de la rivière. L’humus environnant renvoyait ses effluves au-delà du coteau ; Adel en inspira une belle part avant de s’élancer dans la montée. Valéna regrettait déjà son idée de venir par ici. Mais si elle voulait qu’ils aient une chance de voir un cerf, c’était bien par là qu’il fallait aller. “Tout dépend de ce que vous voulez voir”, lui avait-on répliqué quand elle s’était renseignée sur l’itinéraire à suivre. “Le versant septentrional vous fera monter l’adrénaline !”. Alors qu’elle se remémorait cette conversation, une vipère se déplia à quelques mètres devant elle. Sa réaction première fut la peur et elle laissa s’échapper un cri. Elle se ressaisit et se mit à piétiner lourdement sur place pour faire fuir le serpent. Une fois la voie libérée, elle se mit à grimper à une allure qui l’étonna elle-même. Adel l’attendait en scrutant une fourmilière avec amusement. Au moment où elle observa à son tour le régiment d’insectes, Adel lui fit part de son enthousiasme :
— Il s’en passe des choses dans les bois !
— Oui, c’est sûr. C’est plein de vie. Je suis contente de t’avoir amené ici. C’est important pour moi que tu connaisses cet endroit.
— Moi aussi, Mamie, je suis très content ! C’est comme si j’étais entré dans le livre, que tu m’as donné, sur les animaux de la forêt.
— Tu sais que ce livre est précieux. Tu me promets d’en prendre soin ? lui rabâcha-t-elle pour la énième fois.
— Mais oui ! Allez viens, on continue. On va devoir bientôt rentrer et on n’a pas encore vu de cerf.
Encore essoufflée, Valéna ne se laissa tout de même pas distancer et ils atteignirent un champ propice à l’observation du cervidé. Un indice de taille leur indiqua qu’ils étaient au bon endroit, un mirador en bois de trois mètres de hauteur s’était planté devant eux. Le plancher était assez large pour les contenir tous les deux. Adel s’aventura le premier sur l’échelle, sa grand-mère assurant ses arrières. Sur place, ils avaient une vue plongeante sur une étendue d’au moins deux hectares. Des bouses de vaches sèches laissaient supposer qu’un troupeau y séjournait épisodiquement et des touffes de pâquerettes ornaient son tapis. Les craquements du bois sous leur poids amusèrent le petit et il se mit à gesticuler pour les accentuer ; il fut immédiatement interrompu par sa grand-mère.
— Tu ferais mieux de te concentrer sur la vue.
— Tu crois qu’on va voir quelque chose ?
— J’en suis sûre.
Elle était sincère, c’était pour ça qu’ils étaient venus.
Ils restèrent ainsi, en suspens, pendant quatre longues minutes. Leur impatience commune attribuait à la notion du temps une lenteur démesurée. Leurs regards balayaient les parages, à l’affût du moindre mouvement. Le panorama, à gauche de la tour de guet, donnait sur un terrain arboré, à la lisière du champ ; c’est là que l’attention d’Adel fut retenue. Des feuilles piétinées se froissèrent et l’attirèrent de ce côté, il se courba sur la rambarde pour nicher ses yeux dans les branches du foyard le plus proche, espérant ainsi déceler une forme au travers des ramifications.
— Mamie ! Viens par ici, j’ai entendu du bruit dans le bois.
Un museau flirta avec les premières herbes du champ avant d’extirper le corps gracieux d’une biche. Sous sa robe roussâtre, la rondeur de son ventre révélait un accouplement dont la résultante ne tarderait pas à se montrer. La femelle se fia à son flair avant d’aller paître plus loin, laissant derrière elle un vide.
Elle ne peut pas être seule, pas dans son état, supposait Valéna, alors qu’Adel se préparait à l’arrivée du roi de la forêt. Pour lui, aucun doute ne s’était immiscé dans ses pensées. Il s’était redressé, le visage pointé vers les arbres qui formaient une majestueuse allée.
Et l’enfant était dans le vrai.
D’un pas rythmé, l’animal fit une entrée digne de son titre. Il s’immobilisa juste après la lisière et un merle annonça son arrivée. L’herbe vibra, la terre frétilla, le vent ronronna, quand il foula son royaume pour s’approcher de sa dame. Coiffé de sa couronne étoffée, il gratta ses dents sur le sol pour en extraire sa substance nourricière. Le couple brouta ainsi paisiblement jusqu’à ce qu’un premier coup de tonnerre retentisse. Non pas que l’orage les effrayait, mais la suite de grondements et d’éclairs rapprochés firent sursauter Adel, trop imprégné pour voir que le ciel s’était fait hostile. Ce qui eut pour effet de le faire s’agripper à sa grand-mère, craintif :
— Mamie, j’ai peur !
— Ne t’inquiète pas.
— C’est ça un orage ? Ça fait beaucoup de bruit.
— Oui mon chéri. C’est assez impressionnant. Moi aussi, j’avais peur avant. Mais tu ne risques rien. Si tu veux, on s’en va.
La tête du petit se secouait de haut en bas pour approuver. Il s’était rasséréné, mais la fatigue ramollissait son énergie.
Valéna saisit le poignet de son petit-fils et appuya sur le bouton rouge du bracelet qu’il portait et fit de même sur le sien. En une fraction de seconde, ils se retrouvèrent au point de départ, accueillis par quatre hirondelles qui leur offraient une danse d’au revoir. Après ce joli spectacle et un dernier coup d’œil sur la scène, elle s’adressa à son petit-fils :
— Enlève ton casque.

Toute une rangée de projecteurs s’alluma en lieu et place du ciel, mettant en lumière une colossale armature en aluminium, dessous laquelle se trouvaient Valéna et Adel, tous deux équipés d’une épaisse combinaison. Un technicien vint les aider et s’attela d’abord à débrancher les connecteurs et les capteurs qui reliaient la combinaison portée par Adel à une borne informatique clignotante. Une sangle de sécurité devait aussi être détachée. Les bottes à leurs pieds étaient fixées à une plateforme mobile, roulante et polymorphe, capable de simuler toutes les surfaces. Son créateur, qui fit fortune, préféra partir se griller les neurones sous les deux soleils de la planète Irisée plutôt que d’investir son argent dans ses autres projets. Son invention avait révolutionné l’immersion virtuelle en permettant des déplacements impossibles auparavant. Enola Gerti, co-fondatrice avec Senice Elliot, de l’entreprise VIRTUOSE, n’avait pas hésité à en équiper toutes ses structures et à payer très cher l’exclusivité. Positionnant par là même sa compagnie à la tête du marché du tourisme virtuel. Négocier des exclusivités était sa spécialité et favorisa l’expansion fulgurante de VIRTUOSE. L’investissement dans les technologies les plus innovantes avait ouvert la voie vers un développement de qualité et une renommée interplanétaire. Tout était mis en place pour que le voyageur vive une expérience la plus proche possible de la réalité et ce, en stimulant tous les sens, qu’ils soient humains ou extraterrestres. La dernière acquisition en date avait reçu un retour très positif de la part de la clientèle ; les diffuseurs d’odeurs ne manquaient pas d’ajouter une touche subtile d’authenticité. Le voyageur virtuel exigeait du sensationnel et de l’émerveillement. Aussi, la profusion démesurée de détails garantissait leur satisfaction.
L’employé qui rangeait les gants haptiques dans un coffret, interrogea Valéna.
— Comment c’était ? Où êtes-vous allés ?
— C’était trop bien ! répondit Adel à la place de sa grand-mère. On est allé voir un cerf dans le … c’était où déjà mamie ?
— Le Jura, mon chéri.
— Ah ! C’est sur Terre n’est-ce pas ? Vous êtes nostalgique vous aussi ?
— On peut dire ça, oui. Mais, pourquoi moi aussi ?
— Ces derniers temps, on a une forte demande pour la Terre. Vous savez, vous, pourquoi tout le monde veut y aller ?
La bouche sans dent et l’unique œil de son interlocuteur ne choquaient plus Valéna, elle s’était habituée à voir cette énorme orbite au milieu d’une tête deux fois plus grosse que la sienne. Les différences physiques étaient devenues normales et les réfugiés terriens avaient dû abandonner leurs préjugés et discriminations dans le chaos. L’expression un mal pour un bien prenait là tout son sens.
— C’est parce que ça fait vingt ans … En temps terrien, cela s’entend.
Le spationef de Valéna était arrimé au vaisseau de l’entreprise VIRTUOSE. Pour le commander à distance, Valéna se servit à nouveau de son bracelet et fit apparaître un écran tactile qui se matérialisa dans le creux de sa main gauche. Après une manœuvre d’extraction, l’engin vint se poser sur le ponton de décollage où Adel et sa grand-mère attendaient.
A bord, l’enfant fixa le noir cosmique et déclara :
— C’était beau la Terre !
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10 réponses à “Comme dans le livre”
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Je ne sais pas si l’on peux classifier le récit de dystopique, car le récit transporte dans notre belle nature, et n’est plus accessible en réalité ^^
Philippe-
Merci d’avoir lu ma nouvelle. J’espère juste que mon texte n’est pas de l’anticipation…
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On se balade avec vous 2 dans les forêts du Jura. On pourrait presque sentir les odeurs de sapins tellement le texte est réaliste et prenant !
Et la chute ! Excellent !
Bravo ma Valou 🥰-
Merci ! C’est pour te donner envie de venir sur le Haut-Jura !
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Tellement vrai ces descriptions de la forêt
Belle balade !!
Et la fin très surprenante mais digne de l imagination de l auteur !!-
Merci beaucoup !
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Le plus important dans une nouvelle, c’est la chute. Elle doit nous surprendre. Ici, c’est vraiment le cas. Bravo !
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Merci. J’aime beaucoup écrire des nouvelles et trouver des idées de chutes qui surprennent ! Ravie de vous avoir surpris.
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J’adore ! Une chute comme on les aime <3
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Merci ! J’aime surprendre avec des chutes auxquelles on ne s’attend pas.
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