Texte de Céline Rabant sur LE LÂCHER PRISE
Atelier d’écriture créative du 09 novembre 2024 : Les émotions
Exercice :
Une goutte d’eau suspendue au bec d’un robinet n’osait pas lâcher prise.
« Allez, n’aie pas peur, lâche ! lâche ! » lui criaient ses copines, en bas, dans…
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Texte de Céline :
Une goutte d’eau suspendue au bec d’un robinet n’osait pas lâcher prise.
« Allez, n’aie pas peur, lâche ! lâche ! » lui criaient ses copines, en bas, dans l’arrosoir.
« On va faire un beau voyage, voir du pays, profiter du soleil et se laisser glisser
au fil de l’eau jusqu’à l’océan ! »
Mais la petite goutte d’eau voit bien, d’où elle est, que l’arrosoir est grand, grand, mais si
sombre ; elle guette depuis son perchoir et vois bien la pomme avec plein de petits trous, des
trous qui vont la séparer de ses copines, c’est certain. Et alors, le grand voyage, ce sera pas
toutes ensemble, ce sera toute seule avec des gouttes qu’elle ne connaît pas, ni des oxygènes,
ni des hydrogènes, alors franchement, pas envie !
Elle était si bien, avant, il y a longtemps, dans le grand lac… L’ombre des arbres au bord,
quelques baigneurs de temps à autre, parfois une barque… Elle pouvait jouer avec les
copines, s’envoler sur une vaguelette et replonger après avoir fait la belle dans un rayon de
soleil…
Mais voilà, un jour elle a été aspirée vers le fond brusquement, inexorablement, sans
comprendre ce qui lui arrivait. Elle a bien essayé de résister, mais le courant était si violent, si
fort qu’elle n’a rien pu faire. Pas possible de s’accrocher à une branche, un caillou, une
feuille… rien. Et que dire des copines qui rigolaient, comme à la fête foraine sur les
montagnes russes, alors qu’on les embarquait comme ça, sans autre forme de procès, vers
l’inconnu, à la vitesse d’un torrent qui dévale la montagne. Elle a bien essayé de les prévenir,
de leur faire comprendre que rien de tout cela n’était normal et que se lancer comme ça, juste
parce que le courant vous porte, c’est loin d’être une bonne idée !
Des kilomètres de tuyaux, de tubes plus ou moins grands, des cuves, des bassins, des filtres de
sable, de tissu, de trucs bizarres un peu spongieux ou carrément gluants…on ne peut pas
parler d’un beau voyage, tout le contraire même. Et pas un rayon de soleil, non Madame, pas
un seul. La lumière du jour ne fut bientôt plus qu’un lointain souvenir, remplacée par des
lueurs violettes, bleues, rouges parfois, toutes bien artificielles. Et puis elle est repartie encore
une fois, une pompe, un gros tuyau, puis un moins gros, un autre, encore un autre, une
nouvelle pompe, et encore des tuyaux, en dur, en mou, en métal, en plastique, et puis… et
puis ? La lumière du jour ? Enfin…
Sauf qu’en fait de lumière du jour, c’est juste le bec d’un robinet de jardin, qu’un humain
quelconque a ouvert pour remplir un arrosoir ? Pas question de finir dans cet abominable
contenant ! Elle c’est une goutte d’eau de lac, de luxe quoi, il lui faut du cristal, un beau vase
par exemple, ou alors une théière japonaise pour l’heure du thé… A la rigueur, de la
porcelaine anglaise, mais jamais, au grand jamais un bête arrosoir en plastique vert avec sa
pomme noire pleine de terre !!! Non, elle ne lâchera pas, c’est I.M.P.O.S.S.I.B.L.E !!
Et puis l’humain rouvre le robinet, la goutte se retrouve entraînée par le flot dans l’arrosoir,
elle n’a plus le choix et elle cède. Quelques minutes plus tard, elle se glisse avec ses copines
par un des trous de la pomme d’arrosoir, flotte un instant dans l’air et prend contact un peu
brutalement avec la terre du jardin… Elle s’étire doucement dans l’humus, touche sa texture,
hume son parfum, s’imprègne de ses saveurs et se dissout tendrement dans les racines d’une
plante.
Merci, Céline, pour ce joli lâcher prise.