Exercice d’écriture créative créé par Pascal Perrat, ÉVEILLEUR D’IDÉES ® :

S’il te plaît, mamie Manie, raconte-moi encore l’histoire de la cousine Routine !

Mon texte :

– Tu sais que ma cousine est née, comme moi, et comme toi mon petit hêtre adoré, à Morez. Notre famille est originaire de cette vallée jurassienne et nous y sommes tous très attachés. Cousine, bien plus que nous autres. Alors, quand elle a été envoyée travailler dans une ferme de Normandie, elle n’a plus été la même…

– Elle a été triste de partir ?

– Oh, plus que ça ! Elle était meurtrie. Et le voyage n’a pas été de tout repos pour elle, c’est le moins que l’on puisse dire. Le chauffeur de la camionnette qui s’était proposé de l’emmener, un marchand de poires qui prospectait dans le coin, affectionnait le calva sans modération. Un matin, très tôt, alors qu’il chantait à tue-tête, il ne vit pas qu’un sanglier traversait la route et il le percuta de plein fouet. Le véhicule s’est retrouvé sur son flanc gauche et a glissé en tournant comme une toupie, sur au moins cent mètres. Cousine a brinqueballé car elle n’était pas attachée – la sécurité routière à l’époque ça n’existait pas tu sais – et elle a eu le pied droit cassé. Je pense qu’elle a eu très peur et c’est à partir de là que quelque chose s’est détraqué en elle.

– Elle a été à l’hôpital des pieds cassés ?

– Oh non, il était trop loin de l’endroit où c’est arrivé. La famille chez qui elle devait aller, a été mise au courant de l’accident et a envoyé leur fils pour récupérer cousine. Il est arrivé deux jours après et a décrété que ce n’était pas si grave, qu’elle pourrait finir le voyage sans qu’on s’occupe de son pied tout de suite.

– Pauvre cousine, elle a du avoir mal.

– Heureusement, elle n’avait pas à marcher et le fils des fermiers l’avait installée avec plus de prévoyance dans sa fourgonnette, calant son pied de façon à ce qu’il ne bouge pas, et il l’avait même emmitonnée dans une couverture. Ainsi, elle a terminé son périple avec plus de confort, son pied ne lui faisait pas trop mal, mais son âme, elle, était la plus endolorie. Elle se sentait seule et fragile.

– Il était gentil le fils des fermiers de là-bas ?

– Oui, c’était un jeune homme au caractère doux malgré la rustrerie de son éducation. Cousine appréciait sa présence. Après leur arrivée à la ferme, il s’était bien occupé d’elle. Il avait réussi à la faire marcher quand tout le monde pensait qu’elle ne le pourrait plus et il savait la remonter quand elle était au plus bas. C’était un personne précautionneuse.

– Cousine l’aimait bien ?

– Énormément. Mais, ce seul réconfort fut de courte durée. Quelques semaines après l’arrivée de cousine dans le Calvados, la guerre a appelé ce jeune fermier dans de ses rangs. Avant de partir, il l’a longuement regardée et il lui a dit « Le temps continuera toujours de s’écouler, avec ou sans moi, alors ne t’arrête jamais de compter les jours qui nous séparent de mon retour ».

– Elle a encore été meutie cousine ?

– Meurtrie tu veux dire, mon chéri. Oui, et chamboulée, encore une fois.

– Et il est rentré quand ?

– Jamais.

– Pourquoi il est pas revenu ?

– Il est mort. Pour son pays.

– Et cousine, elle a su qu’il est mort ?

– Oui et non. Elle est dans le déni, elle l’attend toujours.

– Et elle, pourquoi elle est rentrée ?

– Ce sont les fermiers normands qui ont décidé de la rapatrier. Ils connaissaient l’attachement de leur fils pour elle alors, en sa mémoire, ils l’ont mise à la porte proprement. A vrai dire, ils ne la supportaient plus. La voir plantée dans un coin d’une pièce, immobile et silencieuse toute la journée, encore ça ils le toléraient. Bien qu’elle n’était plus d’aucune utilité à la ferme. Mais l’entendre tous les soirs, à minuit pile, gémir et résonner dans toute la maison, les rendaient fous.

– On peut pas soigner son chagrin ?

– Personne n’y est jamais parvenu. Elle est pourtant passer entre les mains de professionnels chevronnés, de spécialistes en tout genre. C’est un mystère pour toute la profession. C’est un mal irréparable, qu’ils disent. Elle ne sort de son mutisme qu’à minuit, perpétuellement, inlassablement, sans l’intervention de quiconque.

– C’est pour ça qu’on l’appelle cousine Routine ?

– Oui, car elle n’est dirigée que par sa propre routine, le temps se compte en jours pour elle, alors que pour nous les heures et les minutes défilent naturellement.

– Je l’ai vu hier quand je suis allé à l’atelier. Elle a l’air tellement malheureuse.

– Au moins, elle est revenue à la maison, j’aime croire que c’est un réconfort pour elle.

– Mais qu’est-ce qu’elle est belle !

– Oui c’est vrai. C’est une très belle horloge comtoise.

– Et toi mamie, pourquoi on t’appelle mamie Manie ?

– Oh ça mon petit, c’est parce que j’ai la vilaine habitude de sonner mes heures un millième de seconde en avance. J’aime être la première à tinter.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *